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Kalliope muse ailleurs
29 avril 2009

The loveboat...

loveboat_logo1 Un petit brin de nostalgie ? c'est ici

Tout passe, tout lasse, tout casse... y compris les longs silences, cher lecteur (s'il en reste un) fatigué du message "schizophrène" du mois de décembre... Pour célébrer mon retour sur ces pages, je t'offre un long texte... de moi, prononcé par moi à une certaine occasion, mais que j'ai eu beaucoup de plaisir à écrire. C'est fort prétentieux, mais c'est mon plaisir qui est juge, et si du reste tu n'y trouves toi-même nul plaisir, tu t'épargneras la peine de lire.
Pour la petite histoire, et pour couper court aux commentaires de ceux qui savent déjà, j'ai confondu les poètes Marbeuf et Rutebeuf... Lorsque l'on m'a signalé mon erreur, le rouge m'est monté aux joues, ce qui s'est avéré finalement fort en adéquation avec le sujet du jour.
En lisant cet aveu, tu riras, soit parce que les deux noms ne te disent rien du tout et que cela te semble une babiole, soit parce que tu trouveras la confusion véritablement impardonnable, selon que tu sois ou non féru de poésie. J'ai en tout cas corrigé mon erreur dans la version définitive avant de vous livrer cette réflexion "au fil de l'eau" (comme les postes sur Galaxie, car dorénavant le recrutement universitaire se pique lui aussi de poésie...) sur les moyens d'arraisonner des belles (ou des beaux) sans déraisonner.
Et à bientôt pour de nouvelles aventures...

                                    L’amour, une croisière au long cours, qui peut tourner court…

            Au XVIIe siècle, Pierre de Marbeuf intitula l’un de ses sonnets Et la mer et l’amour. Le poème, dans la tradition de la littérature baroque, consistait d’abord en un jeu virtuose sur la paronymie des termes amour, mer, amer, mais il cherchait aussi à souligner une relation nullement fortuite entre l’amour et la navigation, comme vous le découvrirez si vous acceptez d’embarquer pour Cythère.
       Marbeuf le rappelait au début du troisième tercet : La mère de l’amour eut la mer pour berceau. Aphrodite/Vénus, la déesse de la beauté et de l’amour, est issue de la mer… Les légendes ne sont pas toutes univoques, mais la Théogonie d’Hésiode révèle qu’Aphrodite naquit de l’écume de la mer quand les flots accueillirent en leur sein le sexe d’Ouranos, le ciel, tranché par son fils Chronos, le temps. De là le thème si cher à la peinture de Vénus sortant des eaux, et peut-être est-ce aussi pour cette raison que les villes d’eaux, et en particulier la ville de Baïes, en Campanie, sont aussi célèbres pour leurs naïades, aussi belles que peu farouches. Le poète romain Properce se désole ainsi du départ de sa bien-aimée Cynthie pour cette ville à la réputation sulfureuse : il ne peut imaginer qu’elle y aille réellement pour prendre les eaux. Sa véritable intention est forcément de séduire et d’être séduite par les Apollon qui la hantent…
       Vénus, donc, naît des flots et gagne rapidement une première île, Cythère, puis une seconde, Chypre. Les deux îles lui élèveront des sanctuaires et feront d’elle leur divinité tutélaire, offrant ainsi à la déesse deux surnoms, Cythérée et Cypris.
      Cette déesse, qui est donc avant tout une îlienne – peut-être est-ce pour cela aussi que les îles constituent aujourd’hui la destination phare des voyages de noces –, aime à se retirer dans ses domaines et à recevoir les honneurs de ses fidèles. Elle déteste par-dessus tout celles et ceux qui refusent de sacrifier à son culte, en particulier les Propétides qui niaient qu’elle fût une déesse et se prostituaient : elle les pétrifia. Au contraire, un homme comme Pygmalion, qui se livre tout entier à l’amour pour la statue qu’il a modelée de ses mains, parce qu’il ne trouve pas de femme à la hauteur de ses idéaux, est récompensé par la déesse qui insuffle vie et amour à la statue bien-aimée…
          Vénus encore, qui semble ne pas connaître d’enfance et naît dans le plein éclat de sa féminité, est mariée avec le fils de la déesse du mariage, Héphaïstos-Vulcain, ce qui est de bon augure. C’est le dieu du feu, ce qui est de meilleur augure encore. Mais l’eau et le feu ne font pas toujours bon ménage, et le dieu du feu semble avoir du mal à l’allumer dans le cœur de Vénus. La déesse est versatile, comme les cieux au bord de la mer, et s’enflamme facilement : c’est le dieu Mars qui a le plus régulièrement ses faveurs, mais elle les accorde également à Hermès-Mercure, dont elle a un enfant, Hermaphrodite, à la fois homme et femme, ou à Adonis, un beau chasseur grec, qui meurt sous les coups d’un sanglier. Selon la légende, du sang jailli des blessures que les ronces feront aux pieds de Vénus, courant pour le retrouver, naîtront les roses…
          Avec tant d’amants, Vénus a pourtant peu d’enfants ; le plus célèbre est Eros-Cupidon, « l’Amour » ou plutôt « le Désir », qui selon certains philosophes, n’était même pas son fils, mais son compagnon, né de l’union de l’abondance Poros et de la disette Penia.
          Pourtant, le plus célèbre des dieux amoureux, c’est Zeus, qui, pour jouir en paix de ses conquêtes, n’hésite pas à se métamorphoser : en pluie d’or pour Danaé, en cygne pour Léda, ou en taureau pour enlever Europe sur son dos et fendre les flots avec elle ; il faut au moins une mer entière entre le continent de son père,  l’Afrique, et celui qui prend son nom, pour que le dieu jouisse tranquillement de son butin.
     La mer sépare Agénor et Europe, le père et sa fille ravie, mais elle sépare aussi les amoureux, comme Héro et Léandre, qui vivent tous deux de chaque côté du détroit des Dardanelles. Léandre n’hésite pas à traverser chaque nuit à la nage le bras de mer, en suivant le fanal tenu par Héro. Ce sont ses « feux », dans le double sens du terme, qui le guident à travers les flots jusqu’au jour, ou plutôt à la nuit, où la mer l’engloutira. Folle de douleur, Héro se suicide en se jetant d’une tour. L'onde sépare aussi les héroïnes de la mythologie des héros partis accomplir leurs exploits et qui peu à peu les oublient : seuls des échos lointains leur en parviennent et parfois l’amère nouvelle qu’une autre femme a pris leur place. Il y aussi ces aventuriers plus humains qui partent simplement de longs mois pour conquérir, à leurs risques et périls, sur les plaines liquides, la gloire et la richesse qui les rendront dignes de leur bien-aimée…
          Mais avant d’en venir à ce point de l’histoire où les promesses de fidélité – destinées à être souvent bafouées – sont échangées entre amants sur le point de se séparer, de longs préparatifs sont nécessaires.
           Pour reprendre une métaphore chère à Ovide, l’esquif amoureux, avant de se lancer en haute mer, commencera par s’ébattre dans un petit lac. Il est nécessaire de s’amariner en eau douce, auprès des prostituées et des esclaves, femmes et hommes, qui, eux, sont forcés de consentir à la volonté de leur maître, avant d’affronter les quarantièmes rugissants, les jeunes femmes ou les jeunes hommes libres et de bonne famille…
     Pour le matelot, l’aspirant ou le vieux loup de mer, il s’agit d’élaborer un plan de bataille pour accoster ces jeunes gens, croisés dans la rue, au cirque, au théâtre ou même dans un temple. Plus de préparatifs encore, ou d’espèces sonnantes et trébuchantes, sont nécessaires quand on souhaite s’attaquer à plus forte partie, les courtisanes de haut vol en bel équipage. Il arrive que le jeune homme, rendu muet par ses désirs, délègue un esclave roublard et habile à bonimenter, chargé des travaux d’approche. Aborder l’une de ces fières beautés étourdiment et sans discours préparé, ou même sans un petit présent bien choisi dans sa manche, tenter de les embrasser sans avoir acquis une certaine maîtrise dans le domaine, revient à se saborder. Le retour de flamme ne sera pas celui espéré. Sauf si le jeune homme, emporté par l’ivresse, a opté pour un abordage brutal, en pirate de l’amour, et a décidé de violer l’objet de ses désirs, ce qui arrive assez couramment dans les pièces de théâtre.
       En attendant que le poisson morde et consente à se laisser approcher, il faut louvoyer, éviter les pièges qu’il ou elle tend, relever les épreuves, et même accepter parfois de tomber de Charybde en Scylla : cette dernière, justement, était une amoureuse, qui n’hésita pas à trahir son père pour séduire son amant, au grand dam de ce dernier. Il préféra l’éconduire, provoquant sa métamorphose en monstre marin, ceinte de chiens aboyant furieusement, comme si se révélait derrière la jeune fille en fleur, la matrone acariâtre. Faire sa cour, c’est toute une odyssée, une croisière au long cours qui peut tourner court, car elle exige que le marin accepte d’essuyer tempêtes colériques, caprices de femme gâtée et refus injustifiés.
          Si la jeune fille ou l’éphèbe ne se laisse pas attendrir et repousse les avances de son prétendant, nul besoin de se répandre en imprécations ou de se jeter dans les flots de désespoir. En bon pêcheur, mieux vaut lancer ses lignes ailleurs : Rome, selon Ovide, est un formidable vivier de beautés venues des quatre coins du monde, et réunies dans cette capitale cosmopolite.
      Mais le pêcheur peut devenir proie : certaines sont expertes à capturer les hommes dans leurs filets en assurant leur prise jusqu’à les noyer dans leurs charmes. Le jeune Hylas, favori d’Hercule, l’apprend à ses dépens : séduit par les reflets ondoyants de la source à laquelle il voulait puiser de l’eau, il se pencha tant qu’il finit par être saisi par les nymphes de la source, ces femmes tentatrices qui le ravirent à son amant héroïque. La rivalité entre les hommes et les femmes autour des jeunes éphèbes était plutôt rude dans l’Antiquité. Mieux vaut peut-être néanmoins le sort d’Hylas, ravi par des naïades, que celui de Narcisse, qui, en se mirant dans les eaux d’une source, s’éprit de lui-même, au point de se consumer d’amour et d’en périr, le corps asséché par la passion.
          Admettons néanmoins que le jeune homme ait réussi à susciter une flamme dans le cœur de sa bien-aimée par l’une de ses déclarations bien tournées, par mille petits présents, par le spectacle récurrent d’une mine pâlie par le mal d’amour, ou encore par l’un de ces baisers passionnés, suavium, baiser d’amour.
     La terre est en vue, enfin : cette Ithaque tant désirée par le marinier presque épuisé, c’est le lit du ou de la bien-aimé ; l’assaut final doit être bien mené pour enlever la citadelle où le corps et le cœur de l’aimée se tiennent en embuscade. Là encore, il convient de ne pas flancher, ni même mollir, car il ne fait pas bon rester encalminé. Point de mer étale, il faut le tourbillon, la tempête, les orages de la passion pour éviter le naufrage des sentiments dans le flux des jours et des nuits. Cela, c’est bon pour les couples mariés, qui embarquent ensemble pour une longue durée, mais qui, cependant,’s'autorisent parfois des incursions dans quelques bras illégitimes, abandonnant le lit du long fleuve tranquille de l’existence. Ainsi, à ceux qui s’étonnaient que ses enfants ressemblent tant à leur père, Agrippa, la fille de l’empereur Auguste, Julie, connue pour ses libertinages, répondit un jour :

             « je ne prends de passager que quand la cale du navire est pleine ! »

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Commentaires
Z
j'adore le texte, et j'adore la chute!!! ^_^<br /> elle devait enceinte avoir plus de libido que moi...^_^
C
Je me jette à l'eau... Après avoir longuement hésité, laissé l'eau couler sous le pont, je plonge une nouvelle fois dans ce roman fleuve pour laisser un vague et creux commentaire. (Commentaire que je laissais mûrir comme les fraises de mon balcon!) <br /> Chère Kalliope, lèverez-vous pour nous le mystère de la barbe du capitaine Haddock? La lupa de mer qui sommeille en vous ne manquera pas, sur les nouveaux rivages qui vous accueilleront bientôt, de nous conter son apprentissage de l'Optimist...
A
Contente de te retrouver là aussi !<br /> (mais je n'arrive pas à voir les images - faute d'un navigateur sans caprices, peut-être ?)<br /> Et Rutebeuf, c'est chouette aussi !
P
pour sûr qu'il reste des lecteurs !!
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