Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Kalliope muse ailleurs
5 avril 2008

Heurs et malheurs du moyen lecteur

Ca fait très longtemps que je voulais écrire ce post, sans jamais en trouver le temps ni l'énergie. Du coup, il est à la fois daté et updaté, car si mon irritation m'est restée, mes coups de coeur ont changé. Vous pardonnerez les défaillances de ma mémoire.

Donc, une fois n'est pas coutume, ce ne sera pas uniquement un post littéraire élogieux. Je vais commencer par deux livres qui m'ont mise en colère.

Le premier, je l'ai commencé en septembre dernier et... jamais fini. Arrivée à peu près à la moitié, j'avais envie de le jeter par la fenêtre et je l'ai soigneusement oublié quelque part.

Il n'y a pas de grandes personnesAlix de Saint-André, Il n'y a pas de grandes personnes. Ca s'annonçait bien pourtant. J'avais beaucoup aimé son premier roman, L'ange et le réservoir de liquide à frein, un polar assez drôle dans mon souvenir. Dans celui-ci, elle a décidé d'évoquer sa passion pour André Malraux, dans un ouvrage au genre inclassable, entre la biographie et l'autobiographie. Sur le papier, un joli programme. Les premiers chapitres, qui évoquent son enfance, sont réussis ; j'ai toujours eu un faible, il faut l'avouer, pour les autobiographies d'écrivains qui savent se moquer d'eux-mêmes. Sauf que ça se gâte très vite : dès le chapitre où A. de Saint-André, bien qu'elle s'en défende et multiplie les précautions oratoires, nous inflige son mémoire de maîtrise sur Malraux & Proust. Elle assure en avoir retiré toutes les phrases inutiles et n'avoir conservé que les "meilleurs moments" : en pratique, une succession de citations de Malraux & Proust, qui, je veux bien le croire, constituaient sans doute les meilleurs moments de sa maîtrise, avec quelques commentaires qui se veulent critiques et/ou humoristiques. Le tout dégage de forts relents de cuistrerie et sent l'école. Après le couplet contre la formation universitaire castratrice et l'agrégation de lettres, on en vient à la prétendue évocation de Malraux, qui tourne surtout au portrait de l'auteur en gardienne du temple malrucien (? je ne suis pas certaine de l'adjectif). Elle y parle donc essentiellement d'elle, elle et encore elle (et son christianisme affiché) en y semant quelques références à Malraux et des révélations exclusives obtenues de son entourage, notamment de la dernière compagne de Malraux, citée avec complaisance. Le choix de l'illustration de couverture prend tout son sens : "moi" en premier plan devant la galerie des grands hommes. Elle s'étend d'ailleurs longuement sur son rôle dans la panthéonisation de l'écrivain. On a juste envie de la renvoyer aux oeuvres de son auteur favori, au rapport compliqué et prudent qu'entretenait avec l'effusion autobiographique celui qui faisait de l'existence des écrivains "un misérable tas de petits secrets". Je n'ai pas croisé cette citation dans ma lecture ; il est vrai qu'elle a pu paraître galvaudée à A. de Saint-André. Elle aurait cependant mieux fait de la méditer et de laisser dormir en paix le grand homme et les secrets qu'il aurait bien aimé garder.

Ce qui m'amène au second de mes emportements. Un écrivain contemporain qui prétend briser une idole, en lui opposant un autre écrivain mineur, prétendûment vampirisé par le grand homme, cela vous dit quelque chose ? C'est le propos d'Alabama song de G. Leroy, le Goncourt 2007.

Alabama Song - Prix Goncourt 2007Il ne faudrait jamais lire les Goncourt : je le sais, c'est presque devenu un macaron avertissant le lecteur "passe ton chemin, voyageur". Mais il traînait chez moi, déposé par une main généreuse ; mais il portait un beau titre, inspiré des Doors ; mais, là encore, cette biographie de Zelda Fitzgerald commençait bien. Sauf que... Quand l'auteur commence à tirer à boulets rouges sur Scott Fitzgerald en faisant de Zelda la malheureuse victime d'un époux qui la violait et la volait, je grimace. Fitzgerald présenté en ivrogne et en homosexuel refoulé, incapable d'avoir lui-même l'idée d'une intrigue romanesque, je tique sérieusement. Les pages lyriques sur les longues chevauchées de Zelda en Camargue aux côtés de son beau pilote français m'ennuient. Son désespoir, quand Scott la prive méchamment de son amour français et de sa joie de vivre, jusqu'à la conduire aux portes de la folie, me laisse soupçonneuse. Quand G. Leroy finit par avouer, au terme de la déchéance de son héroïne, que c'est une libre variation sur la vie de Zelda, je hausse les épaules. Quel était donc son dessein ? Il y a pourtant un personnage intéressant dans le livre : Zelda le hait, ce serait le mauvais génie de son époux, celui qui le séduisit pour mieux l'abattre. Et c'est... un écrivain raté et jaloux du succès de Scott. J'y ai vu une figure de G. Leroy dans son propre livre : un mauvais auteur qui essaie de brûler les idoles en publiant les secrets d'alcôve. Mieux vaut relire les oeuvres de Zelda et de Scott, qui ont trouvé dans leur malheur intime la source de deux romans qu'on lira heureusement plus longtemps que le Goncourt 2007. L'on y découvrira aussi que, malgré les insinuations venimeuses de Leroy, l'oeuvre de Scott, Tendre est la nuit, est infiniment supérieure à celle de Zelda, Accordez-moi cette valse. Je finirai donc par Montaigne : « Tel a esté miraculeux au monde, auquel sa femme et son valet n'ont rien veu seulement de remercable. Peu d'hommes ont esté admirez par leurs domestiques. » Autrement dit, il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre... ou pour son mauvais épigone.

Après ces mauvaises (auto)biographies d'écrivains sans imagination, quelques conseils pour réjouir la vôtre.

Pour les fans d'Harry Potter, j'y ai fait allusion cet été, il faut absolument vous procurer l'excellent roman de Susanna Clarke, Jonathan Strange & Mr Norrell, qui exploite la veine de la magie et du merveilleux, mais pour les grands !

  Jonathan Strange et Mr Norrell L'oeuvre parodie joyeusement la stylistique et la méthode de la recherche littéraire pour évoquer l'histoire de la magie anglaise au XIXe siècle. Autrement dit, vous découvrirez, dans ce livre drôle et imaginatif, les secrets de la résistance des Anglais à Napoléon... Mr Norrell est l'unique magicien "pratique" de l'Angleterre. Il vit en reclus et sans divulguer ses pouvoirs, tandis que les magiciens "théoriques", ceux qui sont incapables d'exercer la magie mais qui en sont les historiens, se réunissent en sociétés. Mais voici que Mr. Norrell sort de son silence, non sans baillonner les magiciens théoriques, et commence à goûter aux plaisirs de la célébrité et de la faveur publique. Cela jusqu'à ce qu'un autre magicien pratique, Jonathan Strange, bien moins capricieux et prétentieux, et bien plus jeune et beau, ne surgisse à son tour. L'ouvrage relate leur relation, faite de méfiance, de respect et d'attirance réciproques : les deux hommes ont des personnalités fort différentes et deux conceptions opposées de la magie. L'un veut en préserver le mystère, et l'autre la diffuser. On trouve aussi dans le roman une belle histoire d'amour, du suspense, des énigmes surnaturelles, des aventures palpitantes et enfin des révélations : saviez-vous qu'il faut se méfier des fées ? Celle que rencontre Jonathan Strange  n'est ni femme ni bonne. Bref, rien de tel pour oublier la grisaille ! C'est très bien écrit (et traduit), faussement sérieux et désuet, mais vraiment drôle. Un exemple ?

"Les ministres, s'avisa-t-il vite, étaient tout aussi sensibles à la nouveauté de la situation que n'importe quel autre Londonien. Quand le cabinet se réunit à Burlington House, ses membres se déclarèrent extrêmement désireux d'employer l'unique magicien d'Angleterre. Toutefois, ce qu'on devait faire de lui n'était aucunement clair. Il s'était écoulé deux cents ans depuis la dernière fois que le gouvernement anglais avait recouru aux services d'un magicien, et ils avaient un peu perdu la main.

- Mon principal problème, expliqua Lord Castlereagh, c'est de recruter des hommmes pour l'armée, une tâche peu ou prou impossible, je vous l'assure; les Britanniques sont une race particulièrement pacifique. Mais j'ai le Lincolnshire en vue : je me suis laissé dire que les porcs du Lincolnshire sont particulièrement beaux, et qu'en les mangeant la population prend de l'embonpoint et devient très robuste. Maintenant, ce qui m'arrangerait au mieux, ce serait un sort général jeté sur le Lincolnshire de sorte que trois ou quatre mille jeunes hommes soient incontinent remplis d'un désir ardent de devenir soldats pour combattre les Français. - Il posa sur Sir Walter un regard songeur. - Votre ami connaîtrait-il un tel sort, Sir Walter ? Qu'en pensez-vous ?

Sir Walter, n'en sachant rien, promit de consulter Mr Norrell.

Plus tard, le même jour, Sir Walter rendit visite à Mr Norrell et lui posa la question. Mr Norrell buvait du petit-lait. Il ne croyait pas que quiconque lui eût jamais proposé un tel morceau de magie et pria Sir Walter de bien vouloir transmettre ses compliments à Lord Castlereagh pour posséder un cerveau des plus originaux. Quant à savoir si la tâche était possible ou non "la difficulté consiste à limiter l'application du sort au seul Lincolnshire et aux jeunes hommes. Il y a le danger, si nous réussissons, ce dont je me flatte d'être capable, que le Lincolnshire - ainsi que plusieurs des comtés voisins - puisse être entièrement vidé de sa population".

Sir Walter retourna voir Lord Castlereagh et s'opposa à son projet.

[Les ministres ont ensuite l'idée de demander à Mr Norell de ramener à la vie divers illustres Anglais pour lutter contre Napoléon et se disputent pour déterminer lequel serait le plus à même de s'opposer à l'empereur français, de Nelson ou de William Pitt].

Puis d'autres ministres suggérèrent d'autres gentlemen décédés comme candidats à la reviviscence, jusqu'au moment où il apparut que la moitié des caveaux d'Angleterre risquaient d'être vidés de leurs occupants. Très vite ils se retrouvèrent face à une très longue liste et, selon leur habitude entrèrent dans des disputes infinies à son propos. (...) Alors les ministres songèrent que Mr Pitt était mort depuis près de deux ans et que, si dévoués qu'ils eussent été à Pitt de son vivant, ils n'avaient pas très envie de le voir dans son état actuel. Lord Chatham (frère de Mr Pitt) remarqua tristement que ce pauvre William devait certainement s'être déjà bien altéré.

Ce sujet ne fut plus évoqué. (...)

Le capitaine Harcourt-Bruce n'était pas seulement beau, fringant et brave, il était également romantique. La résurgence de la magie en Angleterre le faisait fortement vibrer. Grand lecteur de la plus excitante des histoires, il avait la tête farcie d'anciennes batailles dans lesquelles les Anglais étaient surpassés en nombre par les Français et condamnés à périr, quand tout à coup les accents d'une musique étrange, surnaturelle, retentissaient et que, au faîte d'une colline, apparaissait le roi Corbeau au grand heaume noir, avec son lambrequin de plumes de corbeau flottant au vent. Le roi descendait de la colline au galop sur son grand destrier noir, avec cent chevaliers humains et autant de chevaliers-fées derrière lui, et vainquait les Français grâce à sa magie.

Telle était l'idée que le capitaine Harcourt-Bruce se faisait d'un magicien. Tel était le genre d'exploit qu'il espérait voir se reproduire sur tous les champs de bataille du continent. Alors, quand il rendit visite à Mr Norrell dans son salon de Hanover-square, et après qu'il se fut assis pour regarder son hôte se plaindre avec humeur à son valet de pied, d'abord que la crème de son thé était trop crémeuse, ensuite qu'elle était trop liquide, eh bien, je ne vous surprendrai pas si je vous dis qu'il fut un tantinet déçu. Il était même si découragé par toute l'entreprise que l'amiral Paycocke, un vieux gentleman un peu bourru, le prit en pitié et eut seulement le coeur de se gausser de lui et de le taquiner avec la plus grande modération."

Aussi anglais et aussi délirant, je vous signale la parution du 4ème tome des aventures de la détective littéraire Thursday Next, intitulé Sauvez Hamlet, par Jasper Fforde.

Sauvez Hamlet !L'on peut reprocher à l'auteur de céder à quelques facilités : l'inventivité est moins grande que dans les deux premiers volets et le roman souffre d'une certaine systématisation des ressorts de l'intrigue. Cependant, c'est toujours un plaisir que de retrouver les personnages attachants de la série, Mamie Next ou les membres de la Jurifiction en tête (mention spéciale à l'empereur Jark), avec quelques petits nouveaux, dont le fils de Thursday, Friday, qui parle en lorem ipsum. On y trouve aussi quelques revenants et toujours des figures littéraires compassées revues et corrigées. Ici, c'est sur Hamlet, le héros de l'indécision, que souffle un vent de modernité. Débarqué dans le monde réel, il s'offre une aventure avec la maîtresse de Nelson, et doit faire face à la rébellion d'Ophélie et de Polonius restés dans la pièce et bien décidés à l'intituler désormais La Tragédie du très spirituel et pas du tout rasoir Polonius, père du noble Laerte, qui venge sa soeur, la belle Ophélie, rendue folle par ce cruel et totalement irrespectueux meurtrier d'Hamlet, prince de Danemark. Par la suite, une OPA hostile menace de transformer Hamlet en une pièce intitulée Les Joyeuses Commères d'Elseneur, née de la fusion de deux pièces de Shakespeare. Autrement dit, comme dans les tomes précédents, Thursday Next a quelques jours pour sauver les livres danois, trouver un clone de Shakespeare pour débrouiller les intrigues et assurer au SuperArceau la victoire de Swindon contre les Tapettes de Reading. Il faut aussi qu'elle rattrape le Minotaure et empêche la mainmise de Yorrick Kaine et de Goliath sur l'Angleterre et le monde. Bref, quelques jours pour sauver le monde et la littérature, comme d'habitude. Vous n'y comprenez rien ? Lisez !

Pour terminer, je vous signale également que le dernier - et en fait le premier- volet du Clan des Otori de Lian Hearn, est paru. 

Le Clan des Otori, Tome 5 : Le Fil du destinIl relate l'histoire de Shigeru avant sa rencontre avec Takeo, dans un Japon médiéval mythique. La série est inspirée par le taoïsme et ce dernier tome vous donnera immédiatement l'envie, comme dans la spiritualité taoïste, de reparcourir le cercle, de relire tous les volumes précédemment parus.

Une bise à tous ceux qui ont eu le courage de lire ce long post jusqu'au bout, en espérant qu'il sera l'avant-goût d'autres lectures.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
En règle générale, la suffisance des auteurs Gon-courtisés (attention à la contrepèterie) dans le poste a toujours suffit à m'en tenir très éloignée...<br /> G. Leroy n'a pas échappé à la règle et en lisant ton post, je me suis rendue comte que je n'avais rien perdu.<br /> <br /> Il va falloir que je me procure le Clan des Otoris. Et Millenium, tu as lu la série?
Kalliope muse ailleurs
Publicité
Kalliope muse ailleurs
Albums Photos
Archives
Publicité