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Kalliope muse ailleurs
19 juin 2007

Gens de lettres

Toujours dans Matin Plus du vendredi 15 juin 2007, j'ai lu que l'on avait découvert l'une des plus grandes collections privées de lettres historiques, pour beaucoup inédites, qui seront vendues aux enchères chez Christie's.

Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un extrait d'une lettre d'Hemingway à Ezra Pound (1925) qui oppose les taureaux aux gens de lettres :

"Les taureaux ne dirigent pas de magazines littéraires. Les taureaux de 25 ans n'épousent pas de vieilles femmes de 55 ans et ne veulent pas être invités à dîner. Les taureaux ne vous assignent pas en justice dans les cas d'adultère. Les taureaux n'empruntent pas d'argent. Et, une fois tués, les taureaux sont comestibles."

Et j'ai pensé... au pamphlet délicieusement venimeux de Fernand Divoire, Introduction à l'étude de la stratégie littéraire, publié en 1912 que les éditions 1001 nuits ont eu l'excellente idée de rééditer en 2005 :

Introduction à l'étude de la stratégie littérairePetit extrait du chapitre Des professions :

"Un littérateur ne choisit pas toujours sa profession. On vient à la littérature de partout : officiers de marine, couturières, attachés de cabinet, instituteurs, femmes entretenues, médecins, employés de banque ou de ministère, journalistes, avocats, séminaristes, ingénieurs s'y coudoient.

Chacun garde souvent l'empreinte de sa profession. Ainsi, le normalien.

Une seule profession permet aujourd'hui le développement d'un talent littéraire : rentier.

Seul, le rentier a le temps qu'il faut pour faire des oeuvres. Seul, s'il écrit des pièces, il peut les faire jouer.

Il s'agit donc pour le littérateur pauvre de devenir rentier. Mais comment ? les loteries sont trop hasardeuses, les héritages sont rares et déçoivent souvent ceux qui comptent sur eux pour vivre.

Les fables anciennes parlent parfois de Mécènes rencontrés. Ce sont là mensonges d'historiens. En tout cas, le Mécène est impossible aujourd'hui où les chevaux de course coûtent déjà si cher et où l'on ne retirerait aucune considération de la protection accordée à un poète.

Le vol et l'assassinat sont à éviter, à cause des gendarmes, qui n'ont nul respect de la liberté de l'art.

Reste un seul moyen : devenir rentier par alliance. Ce moyen se subdivise en trois sous-moyens :

1° Epouser une jeune fille millionnaire. Tâche difficile, mais où l'on a l'encouragement de plusieurs précédents. Beaucoup de tact est nécessaire pour qu'on puisse éviter d'avoir la personne nue d'argent. Puis, il y a quelques avanies à subir, un rôle mondain parfois pénible à jouer. Certains, manquant de logique, ont renoncé aux millions, pour retrouver une liberté qu'ils n'étaient pas forcés de vendre. Mais, pour un caractère moderne, bien trempé, la seule difficulté réelle est de trouver et d'approcher la jeune fille. Pour réussir, on a le prestige de l'Art et, pour persister, l'orgueil d'être le mari de la Reine et le plaisir délicat que procure le mépris envieux des artistes pauvres. Mépris qu'on peut faire taire d'ailleurs, si l'on en a la fantaisie, en affirmant qu'on a fait un Mariage d'Amour.

2° Epouser une dame d'âge mûr à qui la vie, les circonstances et les rêves que l'on fait au lit, ont assuré une noble aisance à quoi manque seulement un acte de naturalisation.

Cette solution a des avantages. Elle assure une forte indépendance de caractère, respectée parce que hargneuse, un logis confortable, un château en province, qui peut prêter à des ambitions politiques.

Elle a des inconvénients : certains regards des passants, certaines résistances mondaines, car l'honorabilité de la prostitution de l'homme se mesure uniquement à l'honorabilité de la femme qui achète.

Elle a enfin des dangers. On peut être tenté par une "jeunesse", s'en amouracher et faire des bêtises. Si l'acheteuse est forte d'âme, on peut alors être chassé.

3° Hériter d'une sexagénaire enrichie par la vie joyeuse que l'on menait sous l'Empire. Cela exige quelques soins anthumes et intimes qu'il peut paraître désagréable de donner.

On court le risque de voir les choses durer au-delà du temps supputé; on court encore celui d'être remplacé et si l'on est trop confiant, d'être frustré par un testament in extremis au profit de l'Assistance publique.

Mais, le but atteint, quelle heureuse liberté ! Paris ni les salons ne tiennent rigueur à un Pactole qui n'a plus de source. La peur d'un procès intenté par des héritiers envieux ne doit pas faire reculer. Ce procès, si on le gagne, sera tôt oublié.

On ne s'arrêtera pas à ce quatrième sous-moyen que pratiquent, dit-on, certains: Etre l'homme à qui une femme donne de l'argent. C'est là une chose infamante, lorsqu'elle vient à être connue, et à laquelle un honnête homme ne saurait s'abaisser, dans la crainte de voir un jour cette femme lui reprocher publiquement jusqu'à l'argent dépensé pour une perruque ou pour un râtelier.

On ne s'arrêtera pas non plus à ce cinquième sous-moyen : être l'homme à qui un autre homme donne de l'argent. Et pourtant..."

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Commentaires
K
allô ?!<br /> je cherche mécène pour relation durable et ambivalente dans le cadre infini de mes incompétences écrivaillonnes. Qqn serait intéressé ?<br /> <br /> Non ? Alors je rajoute une autre catégorie, celle de ceux qui s'endettent jusqu'au cou pour éditer des mots que seuls qqes illuminés diront qu'ils sont géniaux à la mort de cet auteur enfin désargenté, enfin maudit, enfin identifiable dans la longue litanie qui réveillerait les morts s'ils ne l'étaient définitivement.<br /> <br /> Délicieux, ces mots, vraiment :)
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